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Xavier Zimbardo photographe

Pochette du livre Xavier Zimbardo photographe

L’histoire de la Bibliothèque nationale de France et l’histoire de la photographie sont intimement liées. Le dépôt légal entre en bonne part dans cette vieille amitié. En 1851, c’est la Société héliographique qui, la première, prend l’initiative de constituer volontairement des recueils de photographies, en disant que, si un jour la société devait se dissoudre, ces recueils entreraient dans la collection de la Bibliothèque. Quelques mois plus tard, Blanquart-Evrard dépose le premier recueil de photographies au département des Estampes et de la Photographie. Pendant des décennies, la photographie est accueillie pour sa valeur documentaire. Il faudra attendre l’après-guerre pour que son statut évolue dans les collections et que les auteurs prennent le pas sur les sujets. Tous les grands noms de l’Après-Guerre, de Cartier-Bresson à Doisneau, sans oublier Brassaï ou Boubat, entrent dans la collection avec les honneurs, choisissant en accord avec le conservateur le sillon lumineux qu’ils souhaitent laisser derrière eux.
Le dépôt légal est toujours d’actualité, mais rares sont les jeunes photographes qui s’y soumettent avec constance, car rares sont ceux qui ont compris que le dépôt légal n’est pas une corvée mais une opportunité. Xavier Zimbardo fait partie de ces clairvoyants. Photographe par passion, homme d’engagement et de fidélités, il a compris que le département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France réunissait toutes les qualités qu’un photographe souhaite rencontrer pour ses œuvres. Elles y sont bien conservées, classées par des gens dont c’est le métier, elles y sont visibles par le public, accessibles sous le nom du photographe et par leur sujet. Bref, elles sont vivantes. De son côté, la Bibliothèque nationale de France est heureuse de voir des œuvres de cette qualité enrichir ses collections. Zimbardo, très populaire aux Etats-Unis où il publie ses ouvrages, mérite d’être mieux connu de ses compatriotes. Nous espérons que cette exposition, témoignage d’une amitié longue et fidèle, y contribuera.




Jean-Pierre Angremy,
De l’Académie française,
Président de la BnF


A l’occasion d’un voyage dans le village de ses ancêtres, à Cammarata, en Sicile, Xavier Zimbardo a cherché à retrouver la trace d’un aïeul et a pour cela rendu visite au prêtre de la paroisse. Celui-ci se tenait devant un Christ de bois qui, dans une occasion mystérieuse, avait perdu ses bras et ne tendait plus vers le ciel que de bonnes intentions. Au bas du crucifix, le prêtre avait fixé une feuille de papier qui portait l’inscription suivante, tapée sur une mauvaise machine à écrire : « sui bracci siamo noi », c’est à dire « c’est nous qui sommes ses bras ». L’attachement de Xavier Zimbardo à cette anecdote n’est pas anodin. Elle nous apprend beaucoup sur lui, sur sa façon d’être. Il entend vivre sa vie de photographe comme un homme libre, aux bras vigoureux, mais, guidé par une force qui le dépasse, qu’il appelle alternativement « hasard » ou « présence invisible », selon l’énergie qui l’anime et le public auquel il s’adresse. Reporter, voyageur curieux de tout, homme d’ouverture et de dialogue, soucieux de partager les émotions des peuples à qui il rend visite – toujours en ami - il cherche à témoigner de la richesse des cultures et des civilisations, que ce soit en Inde qu’il a arpentée pendant des années, au Maroc, à Cuba ou ailleurs.


Son œuvre est toute entière animée par l’enthousiasme qui le pousse à expérimenter, à traduire en images ses multiples passions. L’usage de la couleur est pour lui un éblouissement, un émerveillement. Sa fréquentation assidue de l’Inde et de sa culture, de ses rites, lui a procuré le goût des couleurs vives, la volonté de transmettre l’énergie positive qui se dégage des jaunes et des rouges éclatants des saris des femmes, des coloris lumineux des turbans des hommes. Une série d’images qu’il a réalisée dans une manufacture de tissus au Rajasthan a donné naissance à une ode à la couleur, traitée par grands aplats, grâce aux tentures unies qui sèchent au soleil. La fête du printemps, « Holi », à Uttar Pradesh, a donné lieu à une liturgie de la couleur absolument somptueuse où la foule évolue sous des pluies de pigments colorés versés par les prêtres jusqu’à ce que les corps de femmes couverts d’eau et de pigments, après être passés par toutes les couleurs de l’arc en ciel, deviennent de bronze. L’individu n’existe plus alors, c’est la foule qui agit comme une seule et même personne mue par le souffle divin de Krishna, qui est honoré ce jour là. L’intérêt de Xavier Zimbardo pour les mouvements de foule en général est fortement présent dans son travail sur l’Inde. Cette masse d’individus différents guidée par une intention commune est pour lui symbolique de l’énergie universelle. Si tous se mettent en mouvement dans un même but, c’est que la force qui les anime dépasse les passions humaines, les conflits et les haines.


La série Illuminations on the Web semble au premier abord à l’opposé de ces spectaculaires images de l’Inde, bien qu’elle soit elle aussi en couleurs. Voilà notre photographe, muni d’un zoom puissant, penché sur de frêles toiles d’araignées emperlées de rosée, solitaire dans le frimas du petit matin. Que lui arrive-t- il ? Il cherche, il pulvérise des pigments colorés - rapportés d’Inde, cela s’entend - sur les toiles fragiles et étudie la façon dont la lumière s’accroche à ces pigments, redessine la toile et donne à l’araignée, cette brodeuse du petit matin, l’occasion d’abandonner sa réputation de sale bête. Encore une fois, il s’émerveille et recherche dans les détails de la nature une vision stellaire, une dimension universelle. Il confère aux toiles d’araignées l’apparence de constellations dans un ciel clair. Le rapprochement entre la fête du printemps à Uttar Pradesh et les araignées découle de ces observations. Seulement, dans un cas, ce sont les prêtres qui jettent des pigments sacrés sur la foule qui se trouve en contrebas, dans un autre, c’est Zimbardo qui pulvérise en démiurge des pigments colorés sur les habitants des prairies et des jardins.


Xavier Zimbardo poursuit en parallèle des recherches en noir et blanc, plus intimes, plus secrètes. Si la couleur est pour lui l’expression du foisonnement et de l’énergie, il utilise le noir et blanc comme un champ d’expérimentation des possibilités de « révélation » de l’image photographique. Dans une série de paysages réalisée entre 1986 et 1988, Des Coquelicots pour Caroline, il a d’abord utilisé le mouvement comme un moyen de donner une lecture dynamique du paysage, de rendre cette impression du marcheur rapide qui voit bouger le paysage autour de lui, au rythme de ses pas. Mais, dans ces paysages, il cherche déjà à opérer une « transfiguration ». Il regarde au delà des simples formes de la nature. Un pont prend la forme d’un œil, un massif de houx s’éclaire comme dans un miroitement d’étoiles.
Ses recherches postérieures ont essentiellement porté sur la figure humaine et la beauté féminine, car Zimbardo est un grand amoureux, un cœur sensible. Les regards et l’élégance naturelle des femmes indiennes le fascinent, ce dont témoigne la magie du mouvement de la femme en jaune, près du lac Pushkar, en 1982. En 1985, il entreprend de travailler sur des affiches collées sur des murs et déchirées, représentant des femmes. Cette série est à l’origine de beaucoup d’autres. Son œil se focalise déjà sur des images - et non sur des visages réels - qu’il photographie à nouveau et sur les altérations qu’elles ont subies. Ces « portraits au deuxième degré », où la matière entre en conflit avec l’expression des visages, réapparaissent régulièrement dans son œuvre.
Quelques années plus tard, suite à la séparation d’avec sa compagne, mélancolique, il hante les cimetières et photographie les portraits en faïence des défuntes qui ornent les tombes. Ainsi sont nées les Belles Disparues. Une fois agrandies et transposées en noir et blanc, sorties de leur contexte funéraire, ces images prennent un tout autre statut. Le grain éclate et l’image se reconstruit tant bien que mal. Les visages reprennent vie, comme marqués par les traces de l’effacement et de l’oubli, puis ranimés par le regard du spectateur. La puissance d’évocation de ces images est troublante. Sans même savoir d’où ils proviennent, nous ressentons à la vue de ces visages à demi effacés une impression similaire à celle qui nous submerge quand nous retrouvons au fond d’un tiroir la photographie poussiéreuse et oubliée d’un être cher, avec la bouffée de souvenirs et de sentiments qui les accompagnent, les odeurs et les parfums... Pour preuve de ce fort sentiment de réminiscence, Zimbardo a choisi pour chacune de ces images féminines le prénom d’une femme qu’il a aimée ou connue, ou rêvée, comme la Nadja d’André Breton.
Fort de cette expérience, il oriente ensuite ces recherches afin d’obtenir volontairement des effets comparables à la détérioration des portraits des Belles Disparues. Il provoque le vieillissement prématuré de ses tirages en les soumettant à des conditions atmosphériques défavorables puis il les photographie à nouveau. La série Femina et Umbra est tout entière fondée, avec de nombreuses variations, sur ce principe. Ses portraits ou ses nus, après de multiples manipulations qui confèrent à l’image une matière spécifique, surgissent de l’ombre. D’autres, sans perdre de leur grâce, semblent avoir été burinés par les intempéries. Zimbardo pousse encore plus loin ses expérimentations dans la série Au-delà et dans celle des Yeux crevés. Il insère des bris de verre dans ses négatifs, les fait éclater, cherche à tout prix à faire pénétrer la matière dans la surface lisse de la photographie. Il cherche aussi à exprimer son refus d’un monde apparemment policé mais en réalité extrêmement violent. Ces yeux crevés qui nous dérangent sont ceux des exclus, des malades, des « refusés » de la société. Le ciel béant des Oiseaux évoque la menace d’un bombardement. Zimbardo trouve un langage photographique pour la douleur : quand l’image éclate, c’est aussi la cohérence du monde qui est en danger.


En 1997, au cours d’une résidence d’artiste au Mont Athos, il découvre par hasard de petits portraits de moines du début du XXe siècle, qui datent de l’époque où le studio photographique du monastère était très actif. En les observant, il se rend compte que le temps a travaillé pour lui : la gélatine est pulvérulente, le grain a éclaté, mais les expressions des visages sont toujours là, avec la même intensité que de leur vivant. Il photographie alors toutes ces images menacées d’effacement, comme pour les sauver une nouvelle fois de la mort, et les agrandit de façon à faire ressortir l’effet de poussière, l’éclatement de l’image en minuscules fragments prêts à se dissoudre. Les Moines de poussière répondent à leur façon aux Belles Disparues. Les visages méditatifs de ces moines barbus, jeunes ou vieux, ressuscitent comme leurs âmes, ailleurs. La dilution de leurs traits dans la poussière stigmatise leur intense spiritualité. Le génie de Zimbardo réside dans cette façon de mettre en valeur, par ses recherches formelles, l’expression profonde d’un visage ou un sentiment dominant. Zimbardo est en ce sens un photographe expressionniste.


Que les moyens soient provoqués ou découverts au hasard de ses pérégrinations, Xavier Zimbardo, dans son travail en noir et blanc, cherche toujours à faire éclater la matière – et le grain photographique par la même occasion à donner l’impression que l’image est faite de millions de fragments juxtaposés que seule la vie relie les uns aux autres. De là se dégage une sensation de fragilité en même temps que l’impression un peu étrange qu’un miracle se réalise sous nos yeux, que la vie reprend corps « à travers la photographie ». L’ensemble de son œuvre se structure autour de deux thèmes conjoints : réunir des éléments fragmentaires pour leur conférer une unité riche de sens et donner vie à la matière inanimée. Dans ses recherches sur la poussière ou sur l’éclatement du grain, Zimbardo cherche à rassembler, à offrir à notre œil l’illusion d’une présence. Lors d’un voyage à Palerme, il visite des catacombes où sont alignés les crânes des Capucins défunts. Il cherche alors, grâce à de savantes prises de vue bougées, à leur procurer l’illusion de la vie, à rendre une expression à ces ossements morts. En reportage dans l’hémisphère Sud, il voit des colonies de fourmis oisives et s’empresse de disposer du sucre sur le sable en forme de cœur pour les pousser à dessiner, en noir sur fond clair, cette figure emblématique. Sa fascination pour les foules en action relève du même principe : rassembler des éléments épars pour en faire un ensemble cohérent.


Donner à nouveau la vie à ce qui disparaît, ce pourrait être un moyen de définir la photographie en général, c’est en tout cas un moyen de décrire la démarche de Zimbardo. Ses images sont des condensés d’énergie et d’espoir, des « émotions transfigurées ». A travers elles, ce qui n’est plus revit, l’énergie des disparus se transmet à ceux qui les contemplent, l’esprit de Krishna se pose sur nous comme sur ses fidèles ruisselants. Xavier Zimbardo a choisi d’armer le bras du Christ de Cammarata d’un appareil photographique. En brave type, il file un petit coup de main à ce pauvre infirme qui n’arrive pas à mettre du bonheur dans le cœur de toutes ses nombreuses créatures.


Anne Sanciaud-Azanza
Conservateur chargé de la photographie contemporaine

Bibliothèque Nationale de France

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