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Photos du thème abordé dans ce texte

Une idée me vint un jour pour générer des formes hasardeuses et surprenantes. La neige tombait à gros flocons. Je sélectionnai une quinzaine de tirages de lecture au format 13 x 18, sortis dans la cour de ma maison et, tel un paysan dans les sillons de son champ, semais un peu partout les images sur le pavé et dans les plates-bandes. La neige lentement les recouvrit tandis que j'observais la disparition partielle des formes, leur modification sous cet écran irrégulier.


Je m'en remettais au hasard, laissant la neige tombée du ciel dessiner elle-même des formes oniriques selon sa fantaisie. De cette chute imprévisible des flocons naissaient de nouveaux jeux de noirs, de blancs, de gris, l'image se métamorphosant sous mes yeux fascinés, et il ne me restait plus qu'à reproduire l'image quand elle apparaissait encore telle une photographie de la « réalité », mais sur le point de basculer dans une forme quasi picturale et semi-abstraite.


La gestation d’une œuvre est beaucoup plus impénétrable que notre époque, trop soucieuse de tout rationaliser, ne voudrait le faire croire. D’ailleurs, pour qu’elle soit forte et mérite ce nom, il faut que l’œuvre soit au-delà du concept, de l’idée, de leur expression par la parole, et de la pensée même. Elle doit être quelque chose de plus subtil encore, en permettant l’approche de cette Présence Invisible infiniment autre et, cependant, irrésistiblement proche et intime, “ce centre unique et secret qui est au cœur de tout poète et qui, inexplicable lui-même, l’explique tout entier. ” (René HUIGHE)


Mes photographies doivent être une surprise au moment de leur invention ou de leur découverte, et elles doivent demeurer une surprise et une énigme sans solution. Dans leur puissance d’évocation, elles sont leur propre solution par ce fait simple et merveilleux qu’elles demeurent une question.


Elles me permettent ainsi d’approcher, dans un mélange de trouble et de sérénité, le grand mystère du monde et de la vie. Elles participent de ce mystère sans vouloir l’illustrer, et au travers d’elles je ne cherche pas à communiquer un message, mais je tente de tout mon cœur le partage d’une émotion.
Mon seul but est que chaque souffle de ma vie soit inspiré par la poésie et imprégné de sa saveur unique. Nous disposons aujourd’hui de moyens de plus en plus sophistiqués, complexes et efficaces pour avancer dans notre création. Et c’est tant mieux. Trop de moyens ne sauraient nuire. Mais ne l’oublions pas : Comme l’écrivait si bien Joubert, “la poésie construit avec peu de matière, avec des feuilles, avec des grains de sable, avec de l’air, avec des riens. ”


Le visage d'une femme n'est jamais aussi intense et gigantesque que lorsque souffle contre souffle elle s'abandonne à nos baisers. Et si, selon Nietzsche, rien n'est plus profond que la peau, l'approche extrême de la photographie dans ce qu'elle a de plus enfoui au cœur d'elle-même révèle des reliefs insoupçonnés, des formes dans la forme, des oeuvres en gestation à l'intérieur même de l’œuvre achevée.
Grâce à une mise à nu des détails, vue de très près, l'image apparaît autre, son univers s'ouvre sur d'autres univers. La forme qui paraissait nette et lisse explose, chaos de grains d'argent brûlés par la lumière, ou épargnés. La masse noire, dont on croyait les limites précises, n'a pas vraiment de frontières et décline insensiblement vers le blanc, marée fluctuante de grains de sable anthracite. Le grain lui-même s'individualise, se dénude et s'offre. Chaque stigmate qu’il porte témoigne de sa rencontre passagère avec une énergie vertigineuse dont il garde la trace.


La photographie devient sujette d'elle-même. Plus besoin de voyager au loin. Elle n'illustre plus mais devient elle-même champ d'exploration et terre d'aventure pour le regard étonné. Non pas à la manière du photo-montage qui retravaille l'image pour lui surajouter du sens. Elle n'a plus rien à démontrer en dehors d'elle et, se rendant libre pour l'art, elle renonce à tout esclavage et à ces servitudes coutumières auxquelles on voulait la réduire.


Xavier ZIMBARDO

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