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Une photo de la galerie Les PORTES du METRO
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Les PORTES du METRO

L’Histoire avec un grand H marque de son impact notre quotidien jusque dans les faits les plus insignifiants. De même et inversement, les détails les plus anodins de notre vie sont souvent révélateurs de l’Histoire en son actualité, et porteurs d’un sens bien au-delà de leur apparence négligeable.


On est choqué, dès l’arrivée à Moscou, par l’aspect bourru et même revêche de nombre des habitants. Un voyage en métro peut tourner au cauchemar. Celui-ci est pourtant magnifique, un véritable musée. Mais les mânes de Staline et autres bureaucrates qui parrainèrent à sa fondation semblent y rôder dans les âmes des usagers. Les mines sont renfrognées, les attitudes coincées et cela ne semble pas dû qu’à l’épuisement. Chacun, au cœur de la foule silencieuse qui s’écoule en tous sens, se presse solitaire comme enfermé dans le petit univers clos de sa tête mécontente. Dans aucun pays au monde on ne croise autant de faciès de rouspéteurs se retenant à tout crin d’exploser et se mettant en rogne contre vous à la première occasion, pour peu que vous ayez eu la maladresse de les effleurer ou sous tout autre prétexte. Si l’on tente de demander un renseignement dans les couloirs à l’un de ces OVNI en interrompant sa lancée, on recueille soit un grommellement bougon, soit une indifférence absolue, comme si vous n’existiez pas, et l’OVNI poursuit son vol sans se détourner de son cap. Pourtant, on croise aussi des amoureux qui s’enlacent et sourient, des parents caressant la tête de leurs enfants avec tendresse. On se convainc donc rapidement que l’on n’a pas ici affaire à une bande d’incorrigibles mal polis, de barbares pincés, de culs gelés sans gentillesse et sans humour, mais à un peuple profondément désenchanté, désorienté et malheureux. Les Russes en ont ras la casquette d’être monumentalement cocufiés depuis des décennies et de ne plus savoir à qui s’en prendre de tant de tromperies.


Sous le règne des Petits Pères des Peuples, du temps de la puissante Union Soviétique, on leur a prédit le paradis sur terre, on leur a promis juré craché (surtout craché…) que le pouvoir socialiste était le leur, que la propriété collectivisée était à eux et bien à eux, qu’ils exerçaient (eux, le « prolétariat »), leur « dictature » sur les exploiteurs ou ceux qui auraient été tentés de le devenir. Mais s’ils tentaient d’exercer ce pouvoir n’eût-ce été qu’en entrouvrant les lèvres pour la plus infime protestation ou si, par mégarde, ils éternuaient de travers par rapport à la ligne, ils se retrouvaient au frais et même au Grand Froid de la Sibérie, ou au chaud en camisole à l’hôpital psychiatrique, ou au trou après un procès truqué en qualité de vipères lubriques, voire une balle dans la nuque avec les fraternelles salutations de la Loubianka.


Après le triomphe de la soi-disant « démocratie », les prétendus réformateurs et autres pseudo modernistes ont promis à tout va le grand vent de la liberté. Or le tout un chacun de ce grand et vieux peuple courageux (mais accablé, las, démoralisé) a surtout vu les « nouveaux » Russes s’accaparer petitement, par les plus sordides et abjectes procédés, la propriété collectivisée qui, hier, était censée lui appartenir. En jouant à « Plus canaille et roublard que moi, tu meurs ! », et bien sûr tout ceci au nom de la sacro-sainte liberté de faire tout et n’importe quoi …


Alors la plupart des Russes semblent ne plus croire en grand chose. Puisque l’homme est un loup pour l’homme et que chacun se bat pour sa pomme, alors rien ne vaut la peine de rien. Et surtout pas de prendre garde à son voisin. Impossible de traverser la route sans risquer de se faire écrabouiller : empruntez les passages souterrains sinon gare ! Le piéton est la cible à abattre pour tout automobiliste maître de la chaussée. Et quand l’heure de la fin du turbin a sonné, on se hâte de rentrer chez soi, avec un empressement irrité qui frise l’exaspération. L’accès au métro est alors le lieu particulièrement révélateur de cet état d’esprit sans foi ni loi qui s’est emparé des êtres à la faveur du chaos et de la déroute de tout sentiment éthique. Chacun va de l’avant et pousse la porte, avec détermination, avec rudesse, avec violence, et puis la lâche sans même se retourner. Quelques rares passagers prennent le temps de retenir celle-ci une fraction de seconde, mais sans regarder toutefois : et si une autre main, dans l’instant, ne surgit pas pour retenir celle-ci de repartir à la volée, le quidam vous abandonne la porte dans la figure.


Ainsi va le quotidien des Russes, au rythme d’une Histoire de la Russie et d’une Histoire du monde qui semblent avoir définitivement déraillé.

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