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Une photo de la galerie SARCELLES
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"MADE IN SARCELLES, BELLE COMME LE MONDE" par Sophie LICARI


Vient d’être publié aux Editions Images en Manœuvres le dernier ouvrage de Xavier Zimbardo, le photographe reporter et artiste au talent polymorphe. « Zimbardo, un patronyme de condottiere cuirassé d'or et de bronze ; […] un nom de dompteur qui claque comme un fouet ; des allures d'Indiana Jones mâtinées d'un Tintin version Reporter au Petit 20e », dit de lui le critique d’art Roland Duclos ; « il est l’un des photographes les plus médiatisés de la planète et surtout l’un des plus secrets. » Mais aussi un homme chaleureux et enthousiaste, toujours entre deux aventures. Découvrir le monde à travers le prisme de son regard est un plaisir esthétique autant qu’intellectuel.


Avec ce dernier opus, c’est sa commune natale de Sarcelles qu’il nous donne à voir sous un angle largement ignoré de la focalisation médiatique habituelle, toujours plus sensationnaliste que réflexive : « Le Grand Ensemble de Sarcelles a célébré en 2006 ses 50 ans. Il voisine avec le village originel du même nom, âgé de plusieurs millénaires. Seule commune de France jumelée avec une localité israélienne et une localité allemande, c’est une ville-symbole, porteuse de mémoire et de toutes les douleurs comme de toutes les couleurs du monde : le grand ensemble fut bâti pour tenter de remédier à la crise du logement d’après-guerre mais aussi accueillir les rapatriés d'Indochine et d’Algérie, avec leurs souvenirs, leurs amertumes et leurs blessures. Il a longtemps personnifié l'anonymat et le malaise des banlieues, donnant naissance au mot « Sarcellite » pour figurer l'ennui des grandes cités-dortoirs », écrit-il notamment en introduction, expliquant qu’il a voulu donner de cette ville « une vision à la fois poétique, sociale, ethnologique, vision d’auteur certes subjective, mais qui permet de renvoyer, à tous ceux qui se font de notre cité une idée fausse, un reflet de notre vie commune plus conforme à la réalité. Ce livre a l’ambition de changer l’image que l’on se fait d’une ville de ces banlieues un peu rapidement honnies parce que méconnues, et devenir un autre symbole, celui d’une authentique fraternité par-delà les origines, les races et les convictions religieuses des uns et des autres. […] Après avoir voyagé tout autour de la planète pour les plus grands magazines, je reviens me laisser surprendre par ce que j’ignorais si près de chez moi. Tout est à explorer : on peut découvrir ici, derrière les façades prétendues grises, un véritable terrain d'aventures et des âmes chaleureuses, de toutes les nuances d’une France dorée par le soleil. […] Plutôt que d’attiser les haines, Sarcelles, la banlieue au regard arc-en-ciel, veut offrir des sources d’eau claire au cœur des brasiers de la colère. »


Média muet, à l’instar de la peinture, la photographie nous parle pourtant à haute voix des choses derrière les choses, d’évidences conceptuelles si fondamentales qu’elles passent couramment à l’arrière-plan du factuel, de l’usuel, voire du préjugé. On oublie trop souvent que notre pays et ses vastes plaines de l’extrémité occidentale de l’Europe, ouvert aux migrations et aux influences culturelles, fut de tout temps un creuset de populations. On oublie que les mouvements migratoires des « Trente Glorieuses » ont contribué à bâtir notre économie moderne et notre modèle social et que les immigrés d’aujourd’hui sont nécessaires à leur perpétuation. On oublie qu’une ville, c’est une communauté d’humains qui se réunissent pour vivre ensemble, dans une proximité multipliant les rapports sociaux et favorisant les échanges commerciaux ; et cela fait 9000 ans que cela dure…


C’est ainsi que les photos de Xavier Zimbardo interprètent la réalité de cette ville de banlieue pour mieux la révéler : l’impression la plus marquante qu’elles délivrent tient à l’universalité de l’espèce humaine, notre cousinage transversal avec les autres et notre filiation verticale avec nos prédécesseurs. Certaines images paraissent même dépourvues d’âge : les deux femmes qui chantent dans la pénombre, fortement soudées l’une à l’autre et la lumière accrochée à leurs mains entrecroisées, pourraient tout aussi bien offrir leur ferveur conjuguée aux esprits de la nature au fond d’une grotte préhistorique du temps des chamanes… Rituels religieux de plusieurs confessions, bals, mariages, fêtes, commémorations et représentations diverses, déclinent la même palette de couleurs vives et de sentiments : partage, gaieté, don, sérénité. D’un bout à l’autre du livre, les images de Xavier Zimbardo sont principalement imprégnées de joie.


On se doute évidemment que comme chacun d’entre nous, les Sarcellois n’ont pas forcément matière à se fendre la pipe tous les jours… Mais il est réconfortant de les découvrir sous leur nature de banlieusards rigolards, s’esclaffant, trinquant, se souriant, s’amusant, s’enlaçant, s’assemblant, se regardant, se saluant, se congratulant, se donnant de l’amitié, de l’écoute ou de l’amour… une foule de bienfaits divers qu’ils se font les uns aux autres - car il y a heureusement plus de variété dans l’échange authentique que dans l’insulte. Du vrai bon lien social, fixé sur l’image en grande partie en dehors des activités professionnelles de ses participants, car contrairement à ce que prétend l’actuelle ministre des Finances, le lien social ne se réduit pas au contrat de travail…


Le charme des bambins et des jeunesses des deux sexes à douce peau de pêche ou de mousse au chocolat réjouit assurément le regard, telle la lumineuse demoiselle extatique de bonheur dansant sur la couverture du livre, tendrement étreinte par son soupirant, la grâce absolue de sa main comme peinte par Léonard ; la sagesse paisible de certains aïeux à chapeau, casquette, turban ou chevelure grise enchante d’une autre façon l’esprit. Mais encore mieux que leur beauté, leur suavité ou leur patience devant le défilé des jours, Xavier Zimbardo donne à voir la dignité inaltérable des gens, tous les gens, quelle que soit la nature de leur labeur quotidien et leur position dans la hiérarchisation socio-économique installée. Telle Sylvie, femme de ménage à la MJC, qui pose face à nous dans sa blouse de travail, ses pantoufles et son corps lourd, mais dont le profil dans le miroir dévoile la majesté saisissante de son visage, incarnation d’une reine impavide surgie d’un portrait de la Renaissance. On l’imagine revêtue de brocart et d’une coiffe empesée, toisant noblement ses vassaux assemblés, et on se souvient alors à quel point l’expression « France d’en bas », tombée du haut d’une bouche premier-ministrée fut étonnamment méprisante.


Les Sarcellois sont les personnages principaux du livre, mais leur décor quotidien est aussi bien présent, sous la forme d’une étonnante valse de couleurs et de formes. La coquette maison festonnée de bois, le jardin, l’étang, la verdure, le marché abondamment planté de légumes, il y en a toujours. La rue, la barre d’immeubles, le train, se montrent également dans leur utilitarisme tout prosaïque, mais se plient parfois à un agréable renversement de perspective qui leur donne à jouer un rôle inédit, ascenseur, rail de chemin de fer, palette de peinture, comme pour illustrer le fait que toute production devrait toujours, en satisfaisant le pratique, s’occuper aussi du joli qui ravit l’esprit. Et puis au détour d’une page, une surprenante recette alchimique, ou comment une rue nocturne, enneigée et artificiellement éclairée où poussent deux arbres nus, un vieux bâtiment et une voiture, peut se métamorphoser en enluminure des Très Riches Heures du duc de Berry… Quand ce n’est pas un terrain vague qui sous le manteau de l’orage prend des allures de Turner…


Voyage urbain un tantinet mélancolique conjugué à un catalogue jubilatoire d’autrui, beau gros bouquin profus, généreux par le volume comme par le point de vue adopté : à force de se montrer ainsi assemblés, les Sarcellois se ressemblent ; les particularismes se mêlent dans le fondu-enchaîné de la communauté. In fine, « Made in Sarcelles » délivre par conséquent un message dont je ne sais si l’auteur l’a expressément désiré, mais que la force de ses images impose tranquillement au spectateur et qu’en tant que fondateur du Festival de la Photo Sociale, Xavier Zimbardo ne renierait probablement pas : l’ethnicisation de la question sociale dans les banlieues est un leurre commode au service de ceux qui se servent de la peur de l’autre comme moyen de contrôle ; les problèmes des banlieues ne sont pas ethniques, mais fondamentalement économiques et sociaux. Les quartiers de Sarcelles sont sensibles, au sens premier du terme, aussi sensibles que la pellicule de Xavier Zimbardo.


Sophie LICARI


Commentaires
Tout dans ce livre de Xavier Zimbardo est réussi.
Ce n'est pas le fruit du hasard.
Il faut à la fois une vaste culture et une longue maturation. Une attention de tous instants aux autres et une très fine observation du monde.
Les valeurs humaines que Xavier montre en photographie sont les vraies valeurs, celles d'une humanité tolérante et solidaire. Après une observation de plusieurs décennies de la scène photographique mondiale, je profite de cette tribune pour dire sobrement que sans aucun doute Xavier fait partie des grands photographes vivants.


Ecrit par : DE CARVALHO | 21.12.2007


Bienvenue, monsieur de Carvalho, et merci pour votre commentaire généreux. Bien que le connaissant depuis beaucoup moins longtemps que vous, je partage tout le bien que vous pensez de Xavier Zimbardo, le tendre "moissonneur d'étoiles".


Ecrit par : Sophie | 21.12.2007

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