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"MADE IN SARCELLES, BELLE COMME LE MONDE" par Xavier ZIMBARDO

Le Grand Ensemble de Sarcelles a célébré l’an dernier son cinquantième anniversaire. Il voisine avec le village originel du même nom, âgé de plusieurs millénaires. Seule commune de France jumelée avec une localité israélienne et une localité allemande, c’est une ville-symbole, porteuse de mémoire et de toutes les douleurs comme de toutes les couleurs du monde : le grand ensemble fut bâti pour tenter de remédier à la crise du logement d’après-guerre mais aussi accueillir les rapatriés d'Indochine et d’Algérie, avec leurs souvenirs, leurs amertumes et leurs blessures. Il a longtemps personnifié l'anonymat et le malaise des banlieues, donnant naissance au mot Sarcellite pour figurer l'ennui des grandes cités-dortoirs.


Dans les médias, quand on évoque Sarcelles, c’est presque toujours pour la dénigrer. Quand un magazine économique réputé présente notre ville sur le petit écran, il offre comme première image le seul bâtiment absolument délabré que l’on y trouve et que nous appelions nous-mêmes "la verrue". Quand un animateur télé à l’humour douteux veut faire s’esclaffer ses auditeurs, il propose de leur offrir un séjour touristique à Sarcelles. Dans la plupart des esprits, cette image caricaturale devient évidente, même chez les plus sympathiques et les moins suspects de malveillance. Quand Renaud, chanteur populaire adulé, décrit la vie d’un voyou malchanceux qui se fait abattre par la police, cela donne sur toutes les radios : "Le braquage a foiré. J'ai une balle dans le ventre, Une autre dans le poumon. J'ai vécu à Sarcelles, J'crève aux Champs Elysées". Quand les lycéens descendent dans la rue contre la réforme d’un ministre, c’est pour crier qu’ils sont contre l’injustice que serait un "Bac Henri IV" (le bac huppé) et un "Bac Sarcelles" (le bac des crève-misère). Son nom est devenu une métaphore pratique : comme la tarte à la crème dans certains vieux films qui ne font plus rire personne, ses habitants entendent avec agacement la sempiternelle rengaine qui prétend désigner leur ville comme ce qui se ferait de pire en France. Quand, en vacances, vous osez dire que vous vivez à Sarcelles, on vous regarde avec crainte ou condescendance, comme si vous sortiez d’un cauchemar ou veniez d’une autre planète, celle de la barbarie : délinquance, violence, misère, laideur…


Cette image d’Epinal qu’on lui colle fut peut-être vraie quand cette cité se construisit, mais elle appartient désormais à un passé révolu. Lors des émeutes des banlieues, nos quartiers, quoique tout aussi révoltés et solidaires, sont demeurés relativement calmes et n’ont pas sombré dans l’embrasement général. Hélas, cette ville a rarement été observée pour ce qu’elle est vraiment devenue. Dépeinte comme hideuse et affligeante par son architecture soi-disant uniforme et ses longues barres de HLM, elle est au contraire variée dans son habitat et connaît des ambiances chaleureuses, d’une diversité étonnante en raison de la multiplicité des familles humaines qui s'y côtoient. Fait peut-être unique au monde, les trois religions du Livre y sont représentées par trois communautés d’importance à peu près égale, dont les membres se rencontrent quotidiennement et vivent en paix. Au-delà de sa communauté juive, une des plus importantes de France, elle est pluriethnique, multiculturelle et un exemple de tolérance à méditer : Maghrébins et personnes originaires d’Afrique noire, souvent de confession musulmane ; immigrations chrétiennes, arménienne de longue date et surtout très nombreux foyers assyro-chaldéens ; mais aussi, familles de travailleurs turcs ou réfugiés kurdes ; Antillais, Cubains et Haïtiens ; Indiens et Pakistanais, réfugiés tamouls du Sri Lanka ; Vietnamiens et Cambodgiens ; Roumains, Portugais, Espagnols, Italiens et Polonais ; Comoriens, Malgaches et Réunionnais ; Sénégalais, Ivoiriens, Camerounais, Béninois, Congolais, Maliens, Togolais … La liste serait longue ! Plus de 80 nationalités sont représentées. Toutes ces populations qui souvent, un peu partout sur la planète, se sont au cours de l’Histoire trouvées meurtries les unes par les autres, vivent ici paisiblement, ensemble, tout en affirmant leurs identités respectives dans leurs lieux de culte, leurs fêtes religieuses et familiales, par le biais des centaines d’associations qui composent la trame d’un tissu social exceptionnel. Pour les jeunes, c’est aussi une capitale de la culture rasta, du hip-hop et du rap en France, le métissage des traditions créant le terreau propice à une singulière créativité musicale et à des danses aux rythmes audacieux.


Sarcelles fut autrefois le royaume des cultivateurs maraîchers, avec un accent du terroir dont j’ai dû garder quelques traces dans la voix. Ainsi, nous ne prononcions pas "Maintenant", mais "Main’nant". Cela m’a aidé ensuite à comprendre tous les accents du monde qui sont venus chanter chez nous. Quand j’étais enfant, j’ai retourné ici la terre des champs avec mon grand-père maternel, de la classe 1928 ! Nous tirions la herse pour casser les mottes… A dire tout à fait vrai, j’étais un tout petit bonhomme assis sur la herse alors que lui, solide gaillard habitué à sortir torse nu même sous la neige, la tirait de tous ses muscles tendus. Je le revois me conduisant à ses champs dans la brouette, en suant et en fredonnant, sentant bon l’eau de Cologne et la mousse à raser. Nous grimpions dans les arbres des vergers avec un panier d’osier tressé, muni d’un crochet métallique que nous arrimions aux branches hautes pour récolter des noix, des quetsches, des poires Beurré Hardy, et bien d’autres trésors. Nous portions le surplus à la conserverie voisine de Piscop. Nous produisions des pommes de terre Belle de Fontenay, des petits pois, des haricots verts et des haricots beurre, des groseilles et des fraises, mes mains sentaient bon la terre, cette terre qui nous fut retirée pour bâtir cette ville verticale. Nous l’avons longtemps crainte et détestée, cette ville debout. D’un autre côté, je me souviens de mon père, gaulliste convaincu et amoureux de la France, qui devait se défendre contre le mépris et faisait parfois le coup de poing contre ceux qui le traitaient de "Rital". Le fléau de la guerre, qui avait dressé les uns contre les autres les peuples de l’Europe, était encore dans les mémoires. Au même titre qu’aujourd’hui, les nouvelles générations ont à faire face au racisme ou à l’antisémitisme, fruits de l’ignorance, de la méchanceté et de la lâcheté. Issu des plus vieilles familles de Sarcelles, les Létrillard – Cousin – Griset - Bethmont, paysans et artisans sous Louis XIV, et d’une famille d’immigrés aux racines siciliennes, j’ai tenté de rendre hommage à cette ville dans ce qu’elle a de profondément spécifique, en un témoignage vivant et exaltant. Et ceci, d’abord, parce que je l’aime en sa différence et sa richesse particulières. Cette ville, je l’ai vu grandir en même temps que moi. Il y a peu, nous avons fêté notre demi-siècle ensemble.


J’ai souhaité en donner une vision à la fois poétique, sociale, ethnologique, vision d’auteur certes subjective, mais qui permet de renvoyer, à tous ceux qui se font de notre cité une idée fausse, un reflet de notre vie commune plus conforme à la réalité. Ce livre a l’ambition de changer l’image que l’on se fait d’une ville de ces banlieues un peu rapidement honnies parce que méconnues, et devenir un autre symbole, celui d’une authentique fraternité par-delà les origines, les races et les convictions religieuses des uns et des autres.


Si l’humanité a un futur, ce n’est pas dans le "choc des civilisations" mais dans la rencontre de celles-ci et le brassage de leurs cultures. Dans l’échange, le partage et l’harmonie. En deux mots, dans la Force de l’Amour. A ce titre, Sarcelles est un laboratoire de l’avenir. Avoir peur de cela, vouloir le nier ou l’empêcher, c’est avoir peur de la vie même, qui est perpétuel changement, innovation, expérience, ouverture. Après avoir voyagé tout autour de la planète pour les plus grands magazines, je reviens me laisser surprendre par ce que j’ignorais si près de chez moi. Tout est à explorer : on peut découvrir ici, derrière les façades prétendues grises, un véritable terrain d'aventures et des âmes chaleureuses, de toutes les nuances d’une France dorée par le soleil. Un chanteur a écrit que "les gens du Nord ont dans les yeux le bleu qui manque à leur décor". Nous sommes une ville du Sud au Nord, et on croise ici des prunelles de toutes les couleurs du monde, pailletées de lumière et irisées de joie quand elles sourient. Plutôt que d’attiser les haines, Sarcelles, la banlieue au regard arc-en-ciel, veut offrir des sources d’eau claire au cœur des brasiers de la colère.

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