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Une photo de la galerie PASSION COULEUR
PASSION COULEUR
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PASSION COULEUR

PASSION COULEUR


Ma photographie est une danse de l’œil, du corps et du cœur


Ma pratique quotidienne de la méditation et des exercices respiratoires a une profonde influence sur ma façon de photographier, tourbillonnante ou contemplative, saisissant l’instant sans le figer. Ce que j'aime, c'est ce passage du statique au vertigineux dans le mouvement, tout ce qui peut participer et témoigner de ce qu'il y a d'incertain dans la vie, d'imprévisible et de fascinant, parce que c'est ça qui nous tient éveillés, qui nous tient aussi vivement en amour avec la vie. C'est cette surprise constante qui nous est offerte, ce sont ces cadeaux quotidiens.


C'est cela que je voudrais transmettre dans mes images : toutes ces choses saisissantes, bouleversantes, que nous croisons sur notre chemin, auxquelles il faut demeurer très attentif parce que c'est ça qui nous fait respirer profondément, jusqu'au fond de nous-mêmes.


Méditer c’est être dans le présent et on ne peut pas faire de la bonne photographie sans être absolument dans le moment présent. C’est pour cela que je dis à mes stagiaires : “Ne parlez pas lorsque vous faites des photos, quand vous êtes en train de travailler”. Il faut être dans une sorte de transe, parfaitement concentré, parfaitement dans l’instant. Au moment où on prend la photo, rien n’importe, on est totalement et simplement là. On est parfaitement attentif, attentif aux lumières, aux couleurs, aux formes, à l’élan du monde.


J’ai commencé à réaliser ces travaux sur la lumière et le mouvement à cause d’une femme qui respirait. Il y a une trentaine d’années, j’ai pris une photo de la femme que j’aime : elle posait nue, devant un mur blanc ; la pose était longue et, plus tard, sur le tirage, j’ai remarqué un léger flou, un mouvement au niveau du ventre. Et je me suis dit : “c’est intéressant ça, il faut que j’arrive à faire respirer le monde de la même façon”.


Ce qui se passe avec la lumière, c’est comme ce qui se passe entre l’inspiration et l’expiration, ce n’est pas la lumière qui entre, c’est l’ombre et la lumière, c’est l’interpénétration des deux ; c’est ce jeu constant entre le soleil et le vent, le chaud et le froid, et tout ce qui se passe entre les deux. Tout ce qui voyage dans l’entre-deux.


Ma photographie est une danse de l’œil, du corps et du cœur en amour avec le monde. Elle diffuse la même énergie que l’extase passionnée dont elle naît. Elle épouse le battement régulier de la poitrine au rythme de ma joie de vivre. Parcourant les chemins du mystère, elle est ce souffle même qui éveille à la poésie dans le silence et la rumeur. Tout émerveillement procède d’une disponibilité intérieure propice à accueillir comme à enfanter la grâce. Quoi de plus familier que la respiration, indispensable à la vie ? Nous croyons tous bien connaître ce que nous pratiquons sans y penser. Or, bien respirer, cela s’acquiert, cela s’apprend par des pratiques qui, devenues routinières, apaisent, stimulent, ouvrent les portes de l’enchantement.


Le fait d’être heureux comme je le suis est une réaction cruciale de survie à ce que j’ai traversé avant, c’est-à-dire une vie qui a souvent été éprouvante, grandissant entouré de personnes dépressives et culpabilisantes. Alors par rapport à ça, j’ai essayé de construire une force, de me dire qu’il faut résister, qu’il faut tenir et s’épanouir. Pour y parvenir, il faut sourire, essayer soi-même de ne pas transmettre du malheur, d’avoir un visage rayonnant, une voix pleine d’amour, des regards chaleureux. Cela se reflète aussi dans mon travail.


On vit dans un monde qui rend anxiogène, qui pousse beaucoup de gens au suicide. Alors, quand on en a conscience, on se dit qu’on va essayer d’apporter aux gens et aussi à soi-même quelque chose qui va nous permettre de souffler un peu. J’ai envie de me faire plaisir, et j’ai envie de donner du plaisir. Je suis bien conscient du désastre dans lequel nous vivons. Nous sommes en train de conduire la planète dans un mur, de nous jeter dans un précipice.


C’est d’ailleurs ce qui m’a amené à faire de la photographie : je me suis dit que si je ne voulais pas devenir fou, la seule façon de survivre dans un monde offrant si peu d’espoir, d’arriver à arrêter cette machine infernale que plus personne ne maîtrise, était de vivre dans le moment présent, en essayant d’être en amour avec ce monde, avec ce qu’il a de plus beau à offrir. De le ressentir profondément, par la méditation, par la qualité de la respiration, de la nourriture, par la qualité du sommeil, par les étreintes amoureuses, la poésie, l’harmonie, la sagesse.


La méditation fait donc partie de ma mise en condition. Je ne pratique d’ailleurs pas que la méditation mais aussi, chaque matin, des exercices respiratoires, ce qu’on appelle le pranayama, qui permet de bien remplir les poumons et d’éliminer les toxines. Prana, c’est le souffle et en même temps le principe vital, il n’y a en sanskrit qu’un mot pour les deux ; yama, c’est la maîtrise. La méditation permet de se découvrir, d’être au plus proche de soi-même et, quand on se connaît mieux, on contemple mieux le monde.

Tout ça contribue en fait à rendre un être le plus proche possible de lui-même : la méditation permet de me découvrir et, quand on se connaît mieux, on observe mieux le monde. Comme chaque artiste, on finit par faire une œuvre qui nous ressemble.


La photographie en tant qu’art et le numineux


La photographie en tant qu’art ne sert à rien d’autre que d’être là, et, par sa seule présence, elle redouble le mystère du monde, elle est un monde en soi, un mystère sans fin, qui bouleverse et qui étreint. Un mystère qui nous nourrit. Quelqu’un a dit qu’une œuvre d’art est quelque chose de parfaitement inutile, mais dont on ne pourrait absolument pas se passer. Parce que l’art nous transmet ce qu’il y a de plus essentiel au cœur de chacun de nous, ce qui nous fait pleurer sans qu’on puisse l’expliquer, ce qui nous élève et ce qui nous abat.


Le propre des arts visuels n’est pas de gloser mais de travailler sur la puissance évocatrice des formes, de les porter à un tel niveau d’intensité, à un tel degré d’incandescence, qu’on perçoit soudain l’œuvre traversée par une impalpable présence, au-delà d’elle-même. Présence que l’on serait bien en peine d’expliquer, aussi spirituelle et aussi charnelle en son acmé que l’amour fou.


Il n’est rien de plus proche d’une œuvre d’art que ce mystère qui passe dans le regard entre deux amants. Il se passe alors entre eux quelque chose d’indicible, d’inexplicable, une sorte de magie, on touche au secret de l’âme, au plus profond de chacun, c’est très bon, très fort, très doux, très violent, mais on en reste muet. C’est au-delà du désir, apparemment en-dehors de la vie et pourtant au cœur même de la vie. Et si l’on cherche à expliquer ça, on répondra :
« Parce que c’était elle …
Parce que c’était moi … »


En ces moments hélas trop rares, on côtoie le sacré, on approche du divin, d’une certaine forme de perfection dont on a bien peu idée, dont on ne saurait que dire, mais qu’une peinture, une sculpture, une musique, une photographie ou toute autre médium, sont, à certains moments privilégiés, capables de nous faire sentir et percevoir. Simplement par l’intensité de leurs formes, par leur puissance évocatrice, parce que les mondes imaginaires qu’évoquent ces œuvres, l’écho qu’elles suscitent, installent en nous un climat particulier, à la fois hors de ce monde et en plein cœur de celui-ci. Juste comme une grande histoire d’amour ou une extase mystique.


Il s’agit de s’intéresser à la photographie en ce qu’elle révèle d’obscur et de lumineux, à la photographie en tant qu’art et approche du numineux (du latin numen : divinité, puissance divine), du sacré. « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or », écrivait Baudelaire. Et par « or », il faut bien sûr entendre la seule vraie richesse, notre poétique vérité, pas les lingots qu’on empile pour, à son dernier souffle, prononcer avec un ultime regret « Rosebud ». La tâche de l’artiste reste la même, celle d’un alchimiste qui dévoile et transcende.

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William Blake disait : « Je ne fais rien. L’Esprit Sacré accomplit tout à travers Moi. », et Piet Mondrian : « La position de l’artiste est humble. Il est essentiellement un canal. » Je m’efforce de me rendre disponible pour être ce canal ouvert sur le sacré par une certaine forme d’exigence, d’ascèse, et une soif radicale d’aller à l’essentiel et d’y demeurer, sans laquelle je ne pourrais vivre. Du moins aurais-je l’impression, si je trahissais cette exigence radicale, d’être un mort-vivant.


Toutes mes prières sont en couleur
Ce que j’aime, c’est la splendeur des choses, la grandeur des êtres et la beauté du monde. La vie est trop brève, trop fragile pour que nous puissions nous encombrer de laideur, de petitesse et de médiocrité. «Quand on ne peut plus aimer, il faut passer», a dit Nietzsche. La photographie ne devrait pas s’embarrasser d’un mode d’emploi. Elle donne à respirer, à vivre, quand, vibrante, elle est porteuse de toute l’intensité visuelle et charnelle du monde. Sensuelle et spirituelle, elle est "en amour", au-delà des discours et des concepts. Elle est possession sauvage, elle décante et purifie, elle chante.
Toutes mes prières sont en couleur. En fait, la couleur même est ma prière. Elle se passe de mots car elle est passe-murailles, au-delà de toutes les calamités. Elle est élan, espoir, vie simple, la pureté en larmes de joie, sans peur et sans regrets. Ma prière, c'est la couleur sans la colère, juste un chant d'amour tranquille et passionné qui bruit dans le silence des yeux.
J'aime prendre des bains de couleur comme d'autres prendraient des bains de soleil.
La couleur parle d'émotion pure et s'adresse directement aux artères, au sang. Elle gonfle le cœur, dresse le désir, écarlate le regard. Elle est spasme, éblouissement, sortilège. Ce qui importe, en art, c'est bien ce surcroît d'indicible émotion qui jamais n'a fini d'étonner, parce que l’œuvre se présente comme un mystère insondable, au-delà des mots et de la pensée même. Parce que toute création digne de ce nom participe nécessairement de l'énigme tenace et inexprimable de la vie.
Métamorphoser le moindre espace en un lieu d’enchantement par la pure grâce du regard visionnaire. Mettre au monde une œuvre d’art… ou bien tout simplement aimer celles qui enchantent le monde, œuvres de la nature, ou bien œuvres des hommes.


Ce sont de petits instants où l’on tombe amoureux du réel. Ça donne envie de vivre. Je ressens si fort, sans cesse, partout, l’insupportable souffrance du monde.


De la sensibilité où se mesure notre impuissance naît la compassion qui nous invite à l’action, nous contraint à la création d’univers offrant un autre visage. L’amour s’exprime dans la clairvoyance de cette sensibilité et de cette compassion. Il nous oblige à ne pas laisser faire. Il faut entrer en création plus encore qu’en réaction et se mettre au service de la beauté comme d’autres s’engagent dans l’armée pour se préparer à la guerre.


Mais je ne cherche pas la rencontre avec la mort, je veux vivre, éperdument, fou de ce monde fou. Moine-soldat de la paix. Moissonneur du firmament.


La seule voie que j’ai trouvée pour survivre sur cette route déroutante, c’est d’aller au-devant de la beauté, de m’émerveiller, pour être heureux, et aussi donner du bonheur aux autres, leur donner envie de vivre bien : dans la justice et dans l’amour.


Je suis un chaos, cocktail Molotov de détresse, de tristesse, d’ivresse, de tendresse, d’espérance et de bravoure. Une alliance pêle-mêle de la plus extrême misère du monde et de sa prodigalité sans pareille. Un puits où chérir la fraîcheur, une source de symboles, une fontaine de rêves, un nuage d’espoir sans fin, un sourire du mystère, une présence au monde rayonnante, colorée, alchimique ! Minuscule et grandiose fragment d’éternité dans une gare en partance pour partout et nulle part. Fleur fragile, si éphémère, entre immortelles et coquelicots.


Malgré nos fascinants outils numériques, il faudrait ne jamais oublier que nous sommes les frères et les sœurs des peintres de Lascaux ou du Fayoum. L’outil n’est pas rien et l’auteur n’est pas tout. Ce dont il s’agit, au fond, c’est d’en faire « quelque chose » qui porte un nom : splendeur.


Xavier Zimbardo

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